Jean-Martin Barbut

Jean-Martin Barbut

Photographies

Je sui né en 1965 à Boulogne Billancourt
J’habite et exerce à Marseille

Parcours :

Assistant du photographe américain Dennis Stock (agence Magnum) dans les 90’s
Etudes de sciences
Cursus de musiques électroacoustiques au Conservatoire de Marseille
Pianiste de blues

Pourquoi ces images ?

 

L’idée de conscience m’a toujours fasciné. Petit, j’essayais de me représenter l’infini, ce qui me mettait dans des états d’angoisse prenants, comme une aspiration vers un néant terrifiant, comme si l’absence de conscience ou au contraire la conscience de tout avait quelque chose de maléfique. Ou peut-être que le chemin vers cette conscience du tout passe par l’abandon de soi-même, du moins le pensais-je, y compris les joies de la vie. C’est dur pour un enfant de penser que l’amour n’est pas la finalité, notre vie à cette période de l’existence est pleine d’émerveillement amoureux par les sens. Comme si le décentrement de soi-même nous coupait de nos émotions et ressentis, or c’est par le ressenti que nous prenons conscience de ce qui nous entoure et par effet miroir de nous-même. Mais le ressenti est-il la vérité ? Notre vérité ? Pas forcément.

J’ai rapidement assimilé l’idée de conscience à la capacité de plus ou moins, selon les circonstances, faire œuvre de distanciation raisonnable avec ses émotions, de savoir les observer pour encore mieux percevoir l’essence des choses. Heidegger décrit la vérité comme la plus proche représentation de l’essence d’une chose. Je ne pense pas que nous puissions atteindre quelque vérité que ce soit de quoi que ce soit, mais la question reste ouverte. La connaissance n’est pas la vérité si on se réfère au paradigme d’Heidegger. Tout comme le bien, le beau et le vrai ne sont pas forcément atteignables, s’approcher ne signifie pas arriver.

J’ai commencé la série sur les vagues tout simplement parce que j’ai un émerveillement pour la mer et le mystère des fluctuations d’énergie et le paradigme de vie qu’elle contient. La mer ne m’a jamais déçu, je ne suis pas un poisson mais proche ou dans la mer je suis chez moi à l’étranger. Une façon pour moi de justement sortir de moi, du moi émotionnel qui nous submerge si facilement. Comme quand je suis à l’étranger, être dans la mer me fait oublier mon être grégaire pour m’adapter à une autre dimension physique et spirituelle pour me rendre compte un peu plus de l’essence de ce que je suis. Ce qui reste de la conscience de moi quand je suis dans la mer ou que je la contemple est plus proche de mon être profond que mon observation de ma personne dans la vie courante. La phénoménale quantité d’énergie à laquelle nous sommes confrontés dépasse de loin nos petites capacités physiques et mentales.

C’est la même chose face au soleil. C’est une étoile que nous contemplons, pas juste une ampoule dans le ciel. Une puissance lumineuse telle que nos yeux se détruisent si nous le regardons directement. Elle torture aussi le film ou le capteur et elle les fait sortir de leur zone de confort. Alors que pourtant nous en sommes si loin ! M’en rendre compte me fait aussi sortir de ma personne. Ce n’est pas le spectacle du couchant que je regarde, mais ce que cela représente réellement, ou du moins de ce que j’ai la capacité à me représenter.

Pour les vagues, comme pour le soleil, je voulais que le rendu final, toute œuvre d’art est avant tout une chose qui représente quelque chose, soit conforme à l’observation que je faisais du souvenir que j’avais de la scène. Le temps ne passe pas mais des choses s’y produisent, et c’est de ces phénomène dont nous nous souvenons, le temps ne fait que renouveler le présent. Nous nous souvenons des phénomènes. L’image saisie de la « vague de surfer » n’a jamais représenté l’impression que j’ai eue lors de l’expérience, visuelle ou physique, de cette vague. Il se passe toujours un peu de durée pour que du sens se crée. C’est ce sens que je tente de partager. C’est pour ça que je mets de la durée dans les images, cosmologique, géologique ou de l’ordre de la durée nécessaire à donner du sens à un instant. D’une certaine façon mon travail est très conceptuel.

Je recherche aussi l’abstraction et la composition dans la nature ou les créations humaines. L’abstraction et la composition sont la face cachée de la réalité. La réalité sans son voile. Ou du moins le rappel que tout ce que nous sommes et où nous sommes suit des règles bien établies, un ou des algorithmes qui rythment notre vie : les constantes et les lois de l’univers dont toute notre expérience sensorielle découle par exemple. Notre corps y obéit, notre conscience peut-être aussi ou du moins il y a de fortes chances qu’elle y soit fortement reliée, notre environnement naturel et cosmologique de même. Or qu’y-a-t-il de plus conceptuel qu’un algorithme puisqu’il s’agit de la représentation d’un phénomène anticipé ? N’est hasard que ce dont n’arrivons pas à nous représenter la complexité des causalités. Mes compositions simples autour du soleil, mes paysages faits de quelques lignes, mes vestiges industriels (ces corps à la conscience révolue, luttant tant bien que mal contre l’entropie qui en résulte), sont une allégorie de cette réalité voilée dont parlait d’Espagnat. Il en va de même pour les vagues : l’eau a la gentillesse de pouvoir prendre plusieurs états simultanés sous nos yeux, accessibles à nos sens.

Esthétiquement, je ne cherche pas la complexité. Je n’ai aucune velléité à me considérer comme le témoin de mon époque (qui n’est donc que la succession des phénomènes, éphémère), je suis touché par la bienveillante représentation du peintre de la Renaissance qui observe et tente de représenter après l’avoir assimilée la réalité qui s’offre à ses yeux.

 

[…]

L’eau n’est pas chez ce photographe abordée seulement de loin, optiquement, comme seul sujet ou support métaphorique de la matière, de la mémoire, du mouvement, de la temporalité, elle est vécue, parcourue. Jean- Martin Barbut est avironneur de mer, il connaît donc les courants, les marées, les vents, il sait naviguer dans les vagues, il parcourt physiquement son jardin photographique, il s’entraine à photographier à la rame, il pêche ses images à la traîne, il passe par l’expérience (comme un peintre Renaissant).

David Brunel, La Prose de Poséidon

[…]

Je suis aussi touché par l’abstraction d’un moderne comme Miro ou Kandinsky. Je n’oppose pas la complexité à la simplicité. Je préfère toucher l’inconscient par le truchement de l’équilibre que le provoquer par la violence et l’attaque frontale. On dira que je suis pictorialiste, anathème ultime de l’académisme ambiant ? Le réductionnisme ne m’a jamais passionné.

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